Antisémitisme
L’antisémitisme est le nom donné de nos jours à la discrimination et à l'hostilité manifestées à l'encontre des Juifs en tant que groupe ethnique, religieux ou racial.
Il s'agit, dans son acception originelle telle qu'elle a été formulée vers la fin du XIXe siècle, d'une forme de racisme à prétentions scientifiques dirigée spécifiquement contre les Juifs (et non contre les peuples sémites, groupe linguistique)[1].
Le terme est le plus souvent utilisé aujourd'hui pour qualifier tous les actes d’hostilité anti-juive, que leurs fondements soient raciaux ou non.
Les motifs et mises en pratique de l'antisémitisme incluent divers préjugés, des allégations, des mesures discriminatoires ou d’exclusion socio-économique, des expulsions, voire des massacres d’individus ou de communautés entières.
Sommaire
1 Origine et définitions
1.1 Étymologie
1.2 Origine
1.3 Définitions
1.3.1 Histoire
1.3.2 Confusion
1.3.3 De nos jours
2 Principes de l'antisémitisme
3 Formes d'antisémitisme
3.1 Antisémitisme culturel
3.2 Antisémitisme religieux
3.3 Antisémitisme économique
3.4 Antisémitisme racial
3.5 Antisémitisme politique
3.6 Nouvel antisémitisme
4 Histoire
4.1 Antiquité
4.1.1 Antiquité gréco-romaine
4.1.1.1 La période hellénistique
4.1.1.2 L'Empire romain
4.1.1.3 L'empire chrétien
4.2 Moyen Âge
4.3 L'antijudaïsme islamique
4.4 Du XVIIe siècle au XIXe siècle
4.5 L'antisémitisme au début du XXe siècle
4.6 Antisémitisme et sionisme
4.7 Antisémitisme et conflit israélo-palestinien
4.7.1 Incidents antisémites liés au conflit israélo-palestinien
4.7.2 Traitement particulier à l'ONU
4.7.3 Droit à l'expression
4.7.4 Déclarations de Mahmoud Abbas
5 Législation
5.1 Institutions internationales
5.2 Législation française
5.2.1 Références législatives
5.3 Législation européenne
6 Notes et références
7 Voir aussi
7.1 Bibliographie
7.2 Articles connexes
7.3 Liens externes
Origine et définitions
Étymologie
Le mot « antisémitisme » est construit à l'aide du préfixe anti- voulant dire « contre » et marquant l'opposition ; de Sem qui désigne l'un des fils de Noé dans la Genèse, et l'ancêtre des peuples sémitiques ; du suffixe -isme servant à former des substantifs correspondant à un comportement ou une idéologie[2].
Origine
Le terme « antisémitisme » et ses dérivés apparaissent en Allemagne à la fin du XIXe siècle bien que la réalité des faits qu’ils décrivent soit plus ancienne.
Pour l'historien Alex Bein, le terme fut utilisé pour la première fois (dans un seul article et de façon isolée), en 1860 par l'intellectuel juif autrichien Moritz Steinschneider dans l'expression « préjugés antisémites » (« antisemitische Vorurteile »), afin de railler les idées d'Ernest Renan qui affuble les « peuples sémites » de tares culturelles et spirituelles (la désignation des peuples du Levant sous ce terme remontait à 1781)[3]. Cette utilisation isolée n'eut aucune postérité.
Le spécialiste du négationnisme Gilles Karmasyn rappelle que c'est le journaliste allemand Wilhelm Marr qui invente véritablement le terme « Antisemitismus » dans le sens « d'hostilité aux Juifs », à l'occasion de la fondation d'une « ligue antisémite » en 1879[4] et non, comme il est parfois rapporté, dans son pamphlet anti-juif Victoire du judaïsme sur la germanité considérée d'un point de vue non confessionnel, publié la même année mais où l'expression n'apparaît pas[5].
Définitions
Après avoir traduit l'hostilité basée sur la religion puis sur la « théorie des races », le terme « antisémitisme » désigne toute manifestation de haine, d'hostilité ou la discrimination à l'égard des Juifs[6] ou assimilés[7],[8].
Histoire
La traduction française d’antisemitismus par « antisémitisme » apparaît, selon le dictionnaire Le Robert, en 1886, suivi de l’épithète antisémite trois ans plus tard. Toutefois Karmasyn a mis au jour les traductions « antisémitique » et « antisémite » dans le journal Le Globe dès novembre 1879[9]. L'historien Jules Isaac précise que le terme « antisémitisme » est par lui-même équivoque, alors que « son contenu […] est essentiellement anti-juif »[10]. W. Marr utilise en effet le mot « Semitismus » comme synonyme de « Judentum », lequel désigne indifféremment le judaïsme, la communauté juive et la judaïté.
Le mot « antisémitisme » abandonne donc la signification spécifiquement religieuse de l'hostilité anti-juive pour se prêter au concept de « race juive » par lequel on a commencé par désigner des Juifs baptisés, justifiant la poursuite des discriminations à leur égard alors qu’ils ont apostasié. Des théories pseudo-scientifiques sur la conception de « race » se sont répandues en Europe dans la seconde moitié du XIXe siècle, particulièrement chez l'historien prussien Heinrich von Treitschke, dont les idées seront reprises dans les théories nazies[11].
Confusion
Comme l'indiquait l'historien Jules Issac[10], une confusion naît de ce mot paraissant équivoque mais qui n'a jamais visé les autres populations de langue sémitique, telles que les Arabes. Au contraire, il peut être utilisé pour désigner l'hostilité des Arabes envers les Juifs lorsque l'on parle d'antisémitisme arabe[12]. Cela n'empêche pas l'étymologie de refaire périodiquement surface. Ainsi, pour l'essayiste Jean-Claude Barreau, le terme « antisémitisme » est « complètement inapproprié » puisque le judaïsme d'aujourd'hui ne serait plus que très partiellement sémite[13].
De nos jours
De nos jours, l'affaissement de la dimension proprement et ouvertement raciste de l'hostilité envers les juifs permet de penser que l'antisémitisme englobe une notion plus large que la conception raciale originelle du XIXe siècle et du début du XXe siècle. C'est qu'il a en réalité existé sous des formes qui ne s'appuient parfois ni sur des conceptions raciales, ni sur des fondements religieux, ce qui rend le concept difficile à définir de manière précise[14].
Le philosophe et politologue Pierre-André Taguieff a d'ailleurs proposé le terme de « judéophobie »[15] pour désigner l'ensemble des formes anti-juives dans le monde depuis la Seconde Guerre mondiale et le distinguer de l'antisémitisme lié aux thèses racialistes. D'autres préfèrent parler de « nouvel antisémitisme » pour qualifier les idéologies plus récentes qui s'appuieraient sur la dénonciation d'un « supposé lobby juif ou du sionisme pour masquer leur antisémitisme »[16],[17],[18]. Le négationisme et la compétition des victimes s'ajoutent à l'antisionisme pour définir les trois axes du nouvel antisémitisme, selon Bernard-Henri Lévy[19].
Le 1er juin 2017, le Parlement européen adopte une définition de l'antisémitisme qu'il demande à tous les États membres de l'Union européenne de partager[20],[21] :
« L'antisémitisme est une perception particulière des Juifs que l'on peut exprimer comme la haine des Juifs. Les manifestations orales, écrites ou physiques de l'antisémitisme visent des Juifs et des non-Juifs et leurs biens, les institutions et établissements religieux juifs »[7].
Principes de l'antisémitisme
L’historienne américaine Barbara Tuchman, prix Pulitzer, identifie trois « principes » à la source de l’antisémitisme :
- « Il est vain d’espérer de la logique – c’est-à-dire l’expression raisonnée d’un esprit éclairé », dès qu’il s’agit d’antisémitisme.
- L’apaisement est futile : « Ici, la règle du comportement humain est que céder aux exigences de l’ennemi ne suffit pas. Au contraire, adopter une position de faiblesse augmente encore le ressentiment. Au lieu de faire disparaître l’hostilité, la soumission la stimule ».
- « L’antisémitisme est indépendant de son objet. Ce que les Juifs font ou omettent de faire n’est pas un facteur déterminant. L’impulsion provient des besoins des persécuteurs et d’un climat politique spécifique »[22],[23].
Formes d'antisémitisme
Même si, dans sa définition primitive et la plus stricte, le mot « antisémitisme » prend une tournure raciale et laïque[24], il est désormais utilisé pour qualifier tous les actes anti-juifs qui ont pu avoir lieu dans l'Histoire, quel qu'en soit le motif, ainsi que pour désigner les actes hostiles aux Juifs avant l'invention du terme antisémitisme.
On peut donc en distinguer plusieurs formes distinctes qui évoluèrent dans leur conception au cours de l'Histoire, qui ne sont d'ailleurs pas forcément complémentaires et ne s'appuient pas toujours sur les mêmes fondements. L'antisémitisme, dans son acception globale, n'est donc pas nécessairement une idéologie racialiste (qui ne se développe d'ailleurs que tardivement à partir du XIXe siècle) et, par conséquent, n'est pas toujours une forme de racisme[25].
René König mentionne l'existence d'antisémitismes sociaux, économiques, religieux ou politiques. Il avance que les formes diverses qu'a pris l'antisémitisme démontrent que « les origines des différents préjugés antisémites sont ancrés dans différentes périodes de l'Histoire ». Pour lui, les divers aspects des préjugés antisémites au cours des époques et leur distribution variable au sein des classes sociales « rend particulièrement difficile la définition des formes de l'antisémitisme »[26].
L'historien Edward Flannery distingue, lui aussi, plusieurs variétés d'antisémitisme[27] :
- « l'antisémitisme économique et politique », donnant comme exemples Cicéron[28] ou Charles Lindbergh[29]
- « l'antisémitisme religieux » ou antijudaïsme
- « l'antisémitisme nationaliste », citant Voltaire et d'autres penseurs des Lumières qui attaquèrent les Juifs sur leurs supposées arrogance et avarice[30]
- « l'antisémitisme racial », exprimé par le nazisme[31]
Enfin le documentariste Louis Harap distingue, quant à lui, l'antisémitisme « économique » de l'antisémitisme « politique », et fusionne ce dernier avec l'antisémitisme « nationaliste » au sein d'un « antisémitisme idéologique. » Il ajoute également un antisémitisme social[32], avec les propositions suivantes :
- religieux : « les Juifs sont les assassins du Christ » (peuple déicide) ;
- économique : « les Juifs sont des banquiers et des usuriers obsédés par l'argent » ;
- social : « les Juifs sont socialement inférieurs » et doivent être tenus à l'écart du reste de la société dans des ghettos et porter un signe permettant de les distinguer des chrétiens, comme la rouelle et le Judenhut au Moyen Âge, ou l'étoile jaune sous le régime nazi ;
- racial : « les Juifs sont une race inférieure » ;
- idéologique : « les Juifs sont des révolutionnaires complotant pour renverser le pouvoir en place » (théorie du complot juif) ;
- culturel : « les Juifs corrompent la morale et la civilisation du pays dans lequel ils vivent par leur culture ».
Antisémitisme culturel
Louis Harap définit l'antisémitisme culturel comme une « forme d'antisémitisme qui accuse les Juifs de corrompre une culture donnée et de vouloir supplanter ou de parvenir à supplanter cette culture »[33].
Pour Eric Kandel l'antisémitisme culturel se fonde sur l'idée d'une « judéité » vue comme « une tradition religieuse ou culturelle qui s'acquièrent par l'apprentissage, à travers des traditions et une éducation distinctives. » Cette forme d'antisémitisme considère que les Juifs possèdent des « caractéristiques psychologiques et sociales néfastes qui s'acquièrent par l'acculturation »[34].
Enfin Donald Niewyk et Francis Nicosia décrivent l'antisémitisme culturel comme une idée se focalisant sur la supposée « attitude hautaine des Juifs au sein des sociétés dans lesquelles ils vivent »[35].
Antisémitisme religieux
L'antisémitisme religieux (ou antijudaïsme) se définit comme l'opposition aux croyances juives et au judaïsme. Il n'attaque donc pas les Juifs en tant que peuple ou ethnie, et prône même parfois leur conversion. Cependant les persécutions peuvent persister pour ces Nouveaux Chrétiens, suspectés de rester secrètement fidèles à leur religion ou à leurs traditions, comme ce fut le cas envers les marranes, des Juifs espagnols et portugais convertis au catholicisme à partir du XVe siècle[27].
Les Juifs ont été également accusés de crimes rituels, souvent au travers de légendes d'enlèvement d'enfants pour des sacrifices. Il s'agit de l'une des allégations antisémites les plus anciennes de l'Histoire : de la légende du meurtre d'Anderl von Rinn en 1492 jusqu'à l'Affaire Beilis en 1911. Selon l'historien Walter Laqueur, il y aurait eu plus de 150 accusations et probablement des milliers de rumeurs de ce type dans l'Histoire[36].
L'antijudaïsme en Europe provenait souvent d'une méconnaissance des traditions de la religion juive, lesquelles étaient perçues comme étranges et parfois maléfiques. Par exemple le mot sabbat, employé pour parler d'une réunion nocturne de sorcières, provient de l'hébreu shabbat, terme désignant le jour de repos hebdomadaire sacré des Juifs (l'équivalent du dimanche pour les chrétiens).
En 1391, les royaumes espagnols furent le théâtre des « baptêmes sanglants » qui virent de nombreuses conversions forcées de Juifs sous la pression de pogroms populaires. En 1492, les rois catholiques, par le décret de l'Alhambra, expulsèrent tous les Juifs d'Espagne, mesure à l'origine de la Diaspora séfarade. Seuls restèrent les convertis ou ceux qui acceptèrent de le devenir. Mais le bruit se répandit que les juifs convertis continuaient à pratiquer leur religion en secret.
Aussi, plusieurs professions furent-elles interdites aux nouveaux chrétiens. Et cela bien que beaucoup de ces nouveaux chrétiens, instruits dans la religion catholique depuis plusieurs générations aient été sincères. Si bien que, dans les familles ibériques, l’usage vint de demander des « certificats de pureté de sang » avant de contracter mariage, ou pour exercer telle ou telle profession. Nombre d'entre eux s’efforcèrent de fuir les territoires hispano-portugais et, une fois relativement en sécurité en France, en Turquie, au Maroc, aux Pays-Bas ou en Angleterre à partir de Cromwell, ils y redécouvrirent la religion de leurs ancêtres. Ce fut le phénomène du marranisme, porteur d'une mémoire secrète, souterraine, cachée, malgré la disparition des synagogues, des textes, et l'impossibilité de suivre les rites. Les marranes, accusés de « judaïser en secret » gardèrent, pour certains d'entre eux, la mémoire de leurs origines, avant d'y revenir parfois, c'est-à-dire lorsque la situation le leur permettait. Nombre de descendants de marranes, ces chrétiens convertis de force, ont essaimé en Europe, avec des destins divers, et jusqu'en Amérique, ou même en Asie, où l'Inquisition continua à les poursuivre longtemps après leur départ du Vieux Continent, pour tenter de faire disparaître le judaïsme.
Antisémitisme économique
L'antisémitisme économique se fonde sur l'idée que les Juifs produisent une économie nuisible pour la société, ou que l'économie devient nuisible quand elle est pratiquée par les juifs[37].
Les allégations antisémites lient souvent les juifs à l'argent et à l'avidité, les accusant d'être cupides, de s'enrichir aux dépens des non-juifs ou de contrôler le monde des finances et des affaires. Ces théories furent développées entre autres dans Les Protocoles des Sages de Sion, un faux prétendant attester le projet de conquête du monde par les Juifs, ou dans le Dearborn Independent, un journal publié au début du XXe siècle par Henry Ford.
Remplaçant peu à peu l'antijudaïsme, cet antisémitisme prend son essor, comme l'antisémitisme racial, au cours du XIXe siècle, parallèlement au développement du capitalisme industriel dans le monde occidental. Il est incarné en France par Édouard Drumont dans son ouvrage La France juive.
L'historien Derek Penslar explique que ces allégations s'appuient sur les imputations suivantes[38] :
- les juifs « sont naturellement incapables d'exercer un travail honnête ».
- les juifs « dominent une cabale financière cherchant à assujettir le monde ».
Penslar avance également l'idée que l'antisémitisme économique se distingue aujourd'hui de l'antisémitisme religieux, qui est lui « souvent feutré », alors qu'ils étaient liés jusqu'à maintenant, le second expliquant le premier[39].
Abraham Foxman relève quant lui six a priori communs à ces accusations[40] :
- « tous les juifs sont riches »[41]
- « les juifs sont avares et cupides »[42]
- « des juifs puissants contrôlent le monde des affaires »[43]
- « la religion juive prône le profit et le matérialisme »[44]
- « les juifs n'hésitent pas à berner les goys »[45]
- « les juifs utilisent leur pouvoir au service de leur communauté »[46]
Finalement, le mythe du Juif et de l'argent est résumé par l'assertion suivante de Gerald Krefetz : « [les juifs] contrôlent les banques, la réserve monétaire, l'économie et les affaires — de la communauté, du pays, du monde »[47].
La critique de cet antisémitisme a vu le jour en France au XVIIIe siècle et a mené sous la Révolution aux décrets d'émancipation de 1790 et 1791. Le 23 décembre 1789 à l'Assemblée constituante, Maximilien de Robespierre explique la situation en ces termes :
« On vous a dit sur les Juifs des choses infiniment exagérées et souvent contraires à l’histoire... Ce sont au contraire des crimes nationaux que nous devons expier, en leur rendant les droits imprescriptibles de l’homme dont aucune puissance humaine ne pouvait les dépouiller. On leur impute encore des vices, des préjugés, l’esprit de secte et d’intérêt les exagèrent. Mais à qui pouvons-nous les imputer si ce n’est à nos propres injustices ? Après les avoir exclus de tous les honneurs, même des droits à l’estime publique, nous ne leur avons laissé que les objets de spéculation lucrative. Rendons-les au bonheur, à la patrie, à la vertu, en leur rendant la dignité d’hommes et de citoyens... »[48].
Robespierre faisait allusion aux mesures discriminatoires prises au Moyen-Age contre les juifs, qui les confinaient aux professions commerçantes.
Antisémitisme racial
L'antisémitisme racial se définit comme la haine des juifs en tant que groupe racial ou ethnique plutôt que sur des fondements religieux[49]. Il considère que les Juifs sont une race inférieure à celle de la nation dans laquelle ils vivent.
L'antisémitisme racial trouve des occurrences historiographiques dans un phénomène s'apparentant aux lois espagnoles de la pureté de sang (limpieza de sangre) quand, de 1501 jusqu'au XIXe siècle, le fiqh (jurisprudence islamique) des Saffavides de la Perse chiite[50] interdit aux Juifs de sortir par temps de neige ou de pluie, de crainte d'une souillure par eux des éléments et que ces éléments ne souillent à leur tour un Musulman[51]. De par leur impureté intrinsèque, ils ne peuvent pénétrer dans une boulangerie ou acheter des fruits frais afin de ne pas contaminer le lieu ou les aliments. En France, l'Ordre des Carmélites inscrit dans ses règlements aux XVIe et XVIIe siècles l'interdiction d'y accepter toute religieuse d'origine juive[50].
La théorie raciale se développe particulièrement dans les mouvements eugénistes et scientistes de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle qui considèrent que les « Aryens » (ou le peuple germanique) sont racialement supérieurs aux autres peuples.
Au début du XIXe siècle, des lois entrent en vigueur dans certains pays d'Europe de l'Ouest permettant l'émancipation des Juifs[52]. Ils ne sont désormais plus obligés de vivre dans les ghettos et voient leurs droits de propriété et leur liberté de culte s'étendre. Pourtant, l'hostilité traditionnelle envers les Juifs sur des bases religieuses persiste et s'étend même à l'antisémitisme racial. Des théories ethno-raciales comme celles de l'Essai sur l'inégalité des races humaines (1853-55) de Joseph Arthur de Gobineau participent à ce mouvement. Ces théories plaçaient souvent les peuples blancs européens, et particulièrement la « race aryenne », au-dessus du peuple juif[53].
Il s'agit donc d'une idéologie laïque prenant le relais du vieil antijudaïsme religieux et s'y substituant. Les nouvelles formes d'hostilité qui s'en manifestent sont donc détachées de toute connotation religieuse, du moins dans la représentation que se fait d'elle-même cette idéologie.
L'antisémitisme tient une grande place dans l'idéologie nazie d'Adolf Hitler[54], führer de l'Allemagne nazie de 1933 à 1945. Les Nazis, mouvement néo-païen, ne firent d'ailleurs aucune différence entre les Juifs orthodoxes et laïcs[55], les exterminant qu'ils pratiquent le judaïsme ou soient baptisés chrétiens, voire engagés dans une vie religieuse chrétienne[56].
Antisémitisme politique
L'antisémitisme politique se définit comme une hostilité envers les Juifs fondée sur leur supposée volonté de s'emparer du pouvoir au niveau national ou mondial, ou leur volonté de dominer le monde au travers d'un « complot international ».
Les Protocoles des Sages de Sion, un faux se présentant comme un plan de conquête du monde établi par les juifs, sont généralement considérés comme le début de la littérature contemporaine de la théorie du complot juif[57]. Daniel Pipes note que le document développe des thèmes récurrents de l'antisémitisme du complot : « les Juifs complotent toujours », « les Juifs sont partout », « les Juifs sont derrière chaque institution », « les Juifs obéissent à une autorité centrale, les vagues Sages », et « les Juifs sont proches de réussir leur plan »[58].
L'antisémitisme politique se démocratise particulièrement durant l'entre-deux-guerres à la suite de la Révolution russe de 1917, notamment sous l'influence des Russes blancs[59], avant d'être récupéré par l'idéologie nazie. Il reposait sur l'idée que les « judéo-bolchéviques » tenteraient de prendre le pouvoir en imposant le communisme ou l'anarchisme à travers le monde.
Le concept apparaît alors comme un renouvellement de la théorie du complot juif[60] qui se superpose, sans le remplacer, au mythe développé par l'antisémitisme économique du Juif responsable du capitalisme[61],[62]. Il s'appuie également sur le fait qu'un certain nombre de penseurs ou de révolutionnaires communistes et anarchistes étaient réellement juifs ou d'origine juive : les théoriciens Karl Marx, Rosa Luxemburg, Emma Goldman, Georg Lukacs et Ernest Mandel ; ou bien, en Russie, les cadres bolcheviks Trotsky, Martov, Lénine, Sverdlov, Kamenev, Berman, Zinoviev, Kun, Losovski, Radek, ou Yagoda. Ainsi, et pour certains des Russes favorables au régime tsariste, l'assassinat de la famille impériale par les Bolcheviks était forcément l'œuvre d'un « complot juif » et cette interprétation contribua à alimenter le climat antisémite en Russie[63].
Ce fait a également été repris par l'argumentaire nazi pour justifier l'existence d'un complot judéo-bolchévique visant à dominer l'Europe et réprimer violemment les militants communistes. Les Juifs furent par ailleurs accusés, après la Première Guerre mondiale, d'être les responsables de la défaite allemande. Ce mythe, nommé en allemand Dolchstoßlegende (le « coup de poignard dans le dos »), fut une tentative de disculper l'armée allemande de la capitulation de 1918, en attribuant la responsabilité de l'échec militaire aux Juifs, mais aussi socialistes, aux bolcheviks et la République de Weimar.
Regardant d'un autre côté de la lorgnette politique, le socialiste allemand, August Bebel, disait de l'antisémitisme qu'il est « le socialisme des imbéciles »[64] - expression[65] souvent reprise par ses amis sociaux-démocrates à partir de 1890 et encore aujourd'hui[66],[64].
Nouvel antisémitisme
Dans les années 1990 naît un concept inédit, celui d'un nouvel antisémitisme qui se serait développé aussi bien dans des partis de gauche que de droite, ainsi que dans l'islam radical. Pour certains auteurs, ces « nouveaux antisémites » se cacheraient désormais derrière l'antisionisme, l'opposition à la politique israélienne et la dénonciation de l'influence des associations juives en Europe et aux États-Unis — voire parfois même derrière l'anticapitalisme et l'antiaméricanisme —pour exprimer leur haine des Juifs[16],[17],[18].
Bernard-Henri Lévy réfère le nouvel antisémitisme à trois raisons principales[19] :
- 1. L’antisionisme : « Les juifs seraient haïssables parce qu’ils soutiendraient un mauvais État, illégitime et assassin »[19].
- 2. Le négationisme : « Les juifs seraient d’autant plus haïssables qu’ils fonderaient leur Israël aimé sur une souffrance imaginaire ou, tout au moins, exagérée »[19].
- 3. La compétition des victimes : Les juifs commettraient « un troisième et dernier crime qui les rendrait plus détestables encore et qui consisterait, en nous entretenant inlassablement de la mémoire de leurs morts, à étouffer les autres mémoires, à faire taire les autres morts, à éclipser les autres martyres qui endeuillent le monde d’aujourd’hui et dont le plus emblématique serait celui des Palestiniens »[19].
Pour l'historien Bernard Lewis, le « nouvel antisémitisme » représente la « troisième vague » ou la « vague idéologique » de l'antisémitisme, les deux premières vagues étant l'antisémitisme religieux et l'antisémitisme racial[67]. Il estime que cet antisémitisme prend ses racines en Europe et non dans le monde musulman, l'Islam n'ayant pas la tradition chrétienne d'exagérer la puissance juive. L'obsession moderne vis-à-vis des Juifs dans le monde musulman est donc un phénomène récent qui dérive du Vieux-continent[68]. L'émergence dans certains établissements scolaires de ce nouvel antisémitisme serait donc liée à une montée du communautarisme islamique et à la diabolisation de l'État d'Israël[69].
Les critiques du concept de « nouvel antisémitisme » arguent quant à eux qu'il mélange l'antisionisme et l'antisémitisme, qu'il donne une définition trop étroite de la critique faite à Israël et trop large de sa diabolisation, ou encore qu'il exploite l'antisémitisme dans le but de faire taire le débat sur la politique israélienne[70]. Pour Norman Finkelstein, par exemple, le « nouvel antisémitisme » est un argument utilisé périodiquement depuis les années 1970 par des organisations telles que l'Anti-Defamention League (équivalent américain de la LICRA) non pour combattre l'antisémitisme, mais plutôt pour exploiter la souffrance historique des Juifs et le traumatisme de la Shoah dans le but d'immuniser Israël et sa politique contre d'éventuelles critiques[71]. » Pour appuyer cette thèse, il cite le rapport de 2003 de l'Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes qui inclut, dans sa liste d'activités et de croyances antisémites, des images du drapeau palestinien, le support à l'OLP, ou la comparaison entre Israël et l'Afrique du Sud du temps de l'apartheid[72]. Finkelstein soutient par ailleurs que les dérives de l'antisionisme vers l'antisémitisme sont prévisibles et non spécifiques aux Juifs : le conflit israélo-palestinien contribue au développement de l'antisémitisme tout comme les guerres du Vietnam et d'Iraq ont contribué à la montée de l'antiaméricanisme dans le monde.
Pour mieux percevoir la difficulté de dessiner une frontière précise entre antisémitisme et antisionisme, notons que l'essayiste Alain Soral et l'humoriste Dieudonné sont par exemple accusés par les médias et une partie de la classe politique française de se dissimuler derrière la critique du sionisme et du pouvoir supposé d'un lobby juif pour diffuser des idées antisémites[73],[74]. Soral, pourtant plusieurs fois condamné pour ses propos, se défend de ces accusations en affirmant ne pas fustiger ce qu'il nomme les « Juifs du quotidien » — ou la communauté juive dans son ensemble —, ou encore les courants spirituels du Judaïsme, mais faire la critique de la « domination d'une élite communautaire juive organisée » en France et aux États-Unis ; de la politique israélienne en Palestine ; ainsi que des valeurs de ce qu'il nomme la « philosophie talmudo-sioniste », perçue par l'essayiste comme une lecture « belliqueuse » et « racialiste » de la Torah. Alain Soral avance, par exemple, que si un « Juif spiritualiste » traduit dans l'expression biblique de « peuple élu » une alliance entre Dieu et un « peuple choisi », invité à devenir un modèle de moralité pour les autres peuples, un « Juif racialiste » y lirait une preuve de la supériorité raciale et divine des Juifs sur le reste de l'humanité[75],[76].
Pour sa part, le sociologue Shmuel Trigano considère que « l’usage courant qui est fait du mot " juif " dans le discours public relève souvent d’une véritable pathologie »[77].
Histoire
Selon les textes religieux hébraïques composés au fil des siècles et en voie de fixation vers le Ier siècle av. J.-C.[78], l’oppression des Juifs en tant que peuple a existé de longue date : ils présentent le peuple hébreu se constituant dans sa résistance contre l'oppression des Égyptiens. Les textes relatent ensuite les attaques répétées auxquelles le peuple juif doit faire face pour préserver son indépendance et le caractère singulier de sa foi.
Pour les historiens contemporains, ces éléments n'ont pas de valeur historique et Jules Isaac ne relève ainsi aucune « trace authentique, incontestable de l'antisémitisme prétendu éternel »[79] jusqu'au IIIe siècle av. J.-C. Selon les travaux de Léon Poliakov, le phénomène remonte cependant bien au monde gréco-romain, particulièrement à l'Égypte ptolémaïque[80]. La nature précise de l'hostilité dont les juifs sont alors l'objet, particulièrement à Alexandrie, théâtre de lutte factieuses, fait toutefois encore l'objet de débats[81].
Antiquité
Antiquité gréco-romaine
Selon l'historien Léon Poliakov, il n'existe aucune trace d'antisémitisme dans l'Antiquité avant le IIIe siècle av. J.-C., et le foyer de cet antisémitisme est l'Égypte ptolémaïque. Encore peut-on ajouter, avec Jules Isaac, qu'il s'agit moins d'une hostilité envers les Juifs en tant que tels que d'une « haine envers les Asiatiques », ces derniers étant des Orientaux au sens large, et non pas seulement des Juifs[82]. Néanmoins des égyptologues comme Jean Yoyotte proposent des origines égyptiennes aux premières formes d'antisémitisme/antijudaïsme, remontant selon les auteurs à une période plus ou moins ancienne, à l'instar de son confrère Jan Assmann ou plus tardive, comme Alain-Pierre Zivie[83]. Plusieurs chercheurs voient dans une lettre privée du Ier siècle av. J.-C. adressée à un habitant de Memphis[84] le témoignage le plus ancien de l'expression de l'existence d'un sentiment antisémite[85] au sein de la chôra égyptienne[86] qui pourrait, selon certains chercheurs, avoir ses racines dès avant la conquête gréco-macédonienne[87].
Les premières expressions historiquement attestées de la « haine contre les juifs » se trouvent rassemblées dans le Contre Apion, un ouvrage de l'historien juif et citoyen romain Flavius Josèphe qui rassemble vers la fin du Ier siècle une anthologie des textes d'auteurs de l'Égypte gréco-romaine, parmi lesquels des détracteurs des Juifs, particulièrement alexandrins[88]. Ainsi, dès le IIIe siècle av. J.-C., Manéthon propose une sorte de « contre-Exode » qui propage des fables à leur encontre, notamment celle suivant laquelle les Hébreux auraient été des lépreux chassés d'Égypte. Ces accusations, infamantes alors, sont néanmoins à contextualiser dans le cadre des tensions communautaires qui opposent à Alexandrie notamment les juifs hellénisés aux Égyptiens dont le culte animal est l'objet d'une véritable répulsion par les premiers[89]. On peut noter qu'au-delà de l'hostilité sur une base religieuse qui relève de l'antijudaïsme, l'association de critères physiques trace peut-être les contours d'une forme d'antisémitisme antique[90].
Les violences généralisées contre les juifs n'apparaissent que sous la domination romaine. Au Ier siècle les juifs d'Alexandrie réclament auprès des autorités romaines le droit de cité auquel les Grecs alexandrins s’opposent. Les tensions communautaires dégénèrent, la communauté juive est l'objet de persécution par le préfet d'Égypte Flaccus et la ville est le théâtre d'une crise inter-ethnique en 38 qui se traduit par de violentes émeutes contre les juifs, qui seraient qualifiées aujourd'hui de « pogroms »[91]. Les affrontements intercommunautaires deviennent monnaie courante et un nouveau pogrom se déroule en 66, sous les ordres de Tiberius Julius Alexander, lui-même d'origine juive[92].
La période hellénistique
Alexandre le Grand est l'initiateur de la présence juive à Alexandrie d'Égypte, en tant que fondateur de cette ville. L'un de ses généraux, qui lui succède comme souverain en Égypte, Ptolémée Ier, fait venir des Juifs pour peupler la nouvelle cité[93]. La Cœlé-Syrie se trouvant sous influence Lagide jusqu'à la 5e Guerre de Syrie. À Alexandrie, ils forment une entité politique séparée : ils occupent deux quartiers sur cinq de la ville hellénistique, ils sont responsables devant une juridiction spécifique, l'ethnarque, s'occupant de commerce, ils édifient rapidement de grandes fortunes (ce qui fait dire qu'ils sont avides d'or): ils se voient confier plusieurs fermes des impôts par les Lagides durant le IIIe siècle[94]. Formant des communautés fermées, en lien les unes avec les autres à l'échelle du monde méditerranéen, ils doivent non seulement faire face à l'animosité populaire: animosité contre le percepteur, contre leur richesse, mais aussi des prêtres et des philosophes : Le Stoïcien Apollonius Molon les accuse d'anthropophagie rituelle, Les Sophistes leur reprochent de falsifier des textes grecs, ce qui, selon le journaliste Bernard Lazare, semble ne pas être sans fondement[95].
Les persécutions contre les Juifs en tant que tels sont rares et ne peuvent jamais être attribuées à un antisémitisme d'État. C’est ainsi que la première persécution connue de la religion juive est perpétrée par Antiochos IV Épiphane, descendant de l’un des généraux d’Alexandre le Grand. Les Juifs se sont révoltés contre lui et ont vaincu les Grecs sous la direction des Maccabées. Les motivations principales de cette « crise macchabéenne » ne sont pas nécessairement religieuses. Cette crise résulte de la conjonction entre une crise politique au sein des élites judéennes pour le contrôle de la Grande Prêtrise (conflits entre les Oniades, descendants légitimes du Grand Prêtre Yéhoshoua, et les Tobiades, famille puissante mais privée de pouvoir politique) et les conflits entre les grands empires (séleucides, lagides, puis plus tard romains) qui se déchirent pour le partage du Proche-Orient. Les persécutions d'Antiochos IV n'interviennent pas soudainement, elles suivent la dégradation de la situation politique à Jérusalem où les rivalités internes à la société juive et les pressions économiques des souverains séleucides ont déjà plongé le pays dans la guerre civile. La dynastie hasmonéenne tire parti de ces oppositions et fonde la dernière dynastie des Hébreux. Ces événements ont par la suite symbolisé au sein de la communauté juive la résistance des Juifs face aux persécutions des « païens » et ont été à l'origine de la fête juive de Hanoucca.
L'Empire romain
Au Ier siècle av. J.-C., les Romains occupent la terre d'Israël et soumettent les Juifs. Si les Romains détruisirent le Second Temple de Jérusalem, on ne peut parler initialement d'antisémitisme, puisque les Romains appliquaient le même procédé (répression des causes de désordre public) à nombre de peuples conquis.
Les Romains sont dans l'ensemble assez tolérants en matière religieuse, n'exigeant pas des populations conquises qu'elles abandonnent leurs cultes, mais ils sont heurtés, comme une bonne part de l'Antiquité polythéiste, par l'aniconisme des Juifs. Après la sacralisation de l'Empereur, le refus de ceux-ci de sacrifier à son culte, que le judaïsme rejette absolument, selon le principe de l'exclusivisme monothéiste est incompréhensible pour la plupart des peuples de l'Antiquité (sauf par les zoroastriens). Par ailleurs, les autorités romaines ne peuvent appliquer l’Interpretatio romana au judaïsme ce qui était une cause de tension.
Néanmoins les Romains, en administrateurs pragmatiques, adaptent certaines de leurs coutumes aux Juifs, les dispensant ainsi partiellement du Culte impérial, privilège qui suscite des jalousies. Certains juifs peuvent devenir citoyens romains, à l'exemple de Paul de Tarse ou de Flavius Josèphe, et peuvent même accéder aux magistratures en acceptant de sacrifier aux dieux, à l'instar de Tiberius Julius Alexander. D'après Tacite et Flavius Josèphe 4 000 Juifs furent exilés en Sardaigne. Plus tard, Titus Flavius Clemens, un consul de la famille impériale des Flaviens aurait été exécuté pour ses sympathies envers le judaïsme ou le christianisme. À la même époque le Contre Apion de Flavius Josèphe montre l'existence d'un antisémitisme structuré et ancien en Égypte.
L'attitude répressive des Romains est également exprimée par Titus écrasant la Judée lors de la première Guerre judéo-romaine et surtout par Hadrien changeant le nom romain de Judée de cette partie de province que les rebelles juifs nomment Israël dans leurs monnaies, en celui de Syria Palestina (ou terre des Philistins)[96] ce qui pourrait dénoter une orientation vers l'antijudaïsme dans une guerre de maintien de l'ordre dirigée contre des rébellions juives. Lors de la persécution des chrétiens dans l'empire romain, ceux-ci avaient d'abord été considérés comme une faction juive, les premiers chrétiens dont Jésus et les apôtres, étant juifs. Suétone rapporte que « les juifs » fomentaient des troubles « à l'instigation d'un certain Crestus » (souvent lu Cristos), mais juifs et chrétiens furent ensuite progressivement distingués les uns des autres notamment en raison de l'existence du Fiscus judaicus et de la réaction des synagogues qui rejetèrent de plus en plus les juifs reconnaissant Jésus comme Messie biblique et refusant la circoncision[97].
L'empire chrétien
Au sein de la chrétienté, une opposition va se faire autour de deux passages de Paul de Tarse :
Dans la Première épître aux Thessaloniciens, en effet, il considère les Juifs comme déicides et « ennemis de tous les hommes » : « Car vous, frères, vous êtes devenus les imitateurs des Églises de Dieu qui sont en Jésus-Christ dans la Judée, parce que vous aussi, vous avez souffert de la part de vos propres compatriotes les mêmes maux qu’elles ont soufferts de la part des Juifs.
Ce sont ces Juifs qui ont fait mourir le Seigneur Jésus et les prophètes, qui nous ont persécutés, qui ne plaisent point à Dieu, et qui sont ennemis de tous les hommes, nous empêchant de parler aux païens pour qu’ils soient sauvés, en sorte qu’ils ne cessent de mettre le comble à leurs péchés. Mais la colère a fini par les atteindre. » (1Th 2:14-16). Il écrit pourtant dans l'épître aux Romains (Rm 11) que les Juifs sont « chers à Dieu », en précisant notamment (Rm 11:28-29) : « Ils sont aimés à cause de leurs pères. Car Dieu ne se repent pas de ses dons et de son appel ».
Paul était juif lui-même, ce qui peut aussi expliquer une plus grande liberté de ton quand il s'adresse directement à eux (1Th), que lorsqu'il en parle aux Romains convertis (Rm).
Dans la pratique, le pouvoir romain devenu chrétien saura utiliser les deux attitudes en fonction de ses intérêts du moment. Dans le premier contexte, l’antijudaïsme devint religieux : la haine des Juifs prit ici un tour nouveau, la religion officielle véhiculant l'idée que le judaïsme puisse être intrinsèquement pervers. Les premiers chrétiens étant Juifs, ils rejettent leur ancienne religion et développent donc naturellement à son égard une haine d'ordre spirituel, d'autant que la loi juive, dont Jésus se réclamait, en tant que Rabbi aux termes des évangiles, continue de les solliciter à accepter les Dix commandements et l'incorporéité absolue de Dieu.
Par ailleurs, la continuité de l'existence des juifs (Ancien Israël) aux côtés de la nouvelle religion (Nouvel Israël) était perçue comme la négation de fait de l'authenticité du message évangélique. D'où le harcèlement envers les Juifs. Même une partie du clergé et quelques théologiens les présentèrent comme coupables collectivement du supplice de Jésus Christ. Les juifs n'en restaient pas moins considérés comme destinés à se convertir et à participer à la Parousie.
Selon Jules Isaac : « L'avènement de l'Empire chrétien au IVe siècle a eu pour effet immédiat de renforcer et développer l'action (ou la réaction) antijuive, par l'étroite union des pouvoirs politiques et religieux. »[98]. L'historien pointe ainsi certains Pères de l'Église « appliqués à traîner leurs adversaires dans la boue »[99] ; par exemple, Jean Chrysostome (Adversus Judaeos) crée le mythe antisémite d'une « cupidité » des Juifs[100]. À cette période, « par la volonté de l'Église, [le Juif] est devenu l'homme déchu ; on pourrait déjà dire l'homme traqué »[101].
Moyen Âge
Plus encore que l'accusation de déicide, ce qui fut âprement reproché aux Juifs par les chrétiens fut leur refus de se convertir à la foi nouvelle et de reconnaître Jésus comme messie. Seuls les Juifs baptisés étaient laissés en paix et certains convertis devinrent d'ailleurs d'actifs prosélytes chrétiens, jouant souvent à leur tour un grand rôle dans les campagnes antijuives : ainsi, l'archevêque Julien de Tolède, au VIIe siècle, lui-même d'origine juive, mena activement campagne pour la conversion forcée de ses anciens coreligionnaires en Espagne wisigothique.
Au haut Moyen Âge, ainsi que le montre Bernhard Blumenkranz, la population chrétienne paraît généralement coexister avec les juifs sans grand problème. Parfois même, elle les soutient. Lorsque le juif Priscus est tué à Paris, en 582, par Pathir, devenu chrétien depuis peu, Pathir doit se réfugier avec ses domestiques dans l'église de Saint-Julien-le Pauvre. Il réussit à s'enfuir, mais l'un de ses serviteurs est sauvagement tué par la foule[102].
Cependant, dès 633, le IVe concile de Tolède publie, parmi ses décisions, le canon 57 à propos des juifs :
« Au sujet des juifs, le Saint Concile a prescrit que nul désormais n'utilise la violence pour faire des conversions... Mais ceux qui ont déjà été obligés de venir au christianisme...du fait qu’il est sûr que recevant les sacrements divins et baptisés ils ont eu la grâce, qu'ils ont été oints du chrême et qu'ils participent de la chair et du sang du Christ, ces hommes-là, il importe de les obliger à conserver leur foi, même s'ils l'ont reçue de force[103]. »
Au cours du haut Moyen Âge, les juifs ne jouissent pas des mêmes droits que les chrétiens. Toutefois, les expulsions ou menaces d'expulsion proviennent avant tout du clergé et rarement du souverain. Au Xe siècle, le pape Léon VII, répondant à l'archevêque de Mayence qui lui demande s’il faut contraindre les juifs au baptême ou plutôt les expulser, lui recommande de leur prêcher, mais de ne pas les obliger au baptême, tout en les menaçant de l'exil s'ils ne se convertissent pas[104].
Au début du XIe siècle, un mouvement que rapporte Raoul Glaber annonce de futures persécutions. Ce mouvement aurait éclaté en France et en Italie pour répliquer à une prétendue collusion entre juifs et le sultan Al-Hakim. Les juifs d'Orléans auraient prévenu le sultan que s'il ne détruisait pas le Saint-Sépulcre, les chrétiens viendraient conquérir son royaume[105].
Le juif qui vit en marge de la société chrétienne peut désormais être considéré comme un être maléfique. Quand, en 1020, le jour du vendredi saint, un tremblement de terre détruit Rome, les juifs en sont rendus responsables. La persécution est le fait tout à la fois du pouvoir civil et religieux[106]. L'Église imposa peu à peu aux autorités civiles la relégation des Juifs au ban de la société. Ils vivent souvent reclus dans des ghettos. L'aboutissement de cette évolution fut les massacres perpétrés par la population chrétienne dans toute l'Europe, quels qu'en soient les motifs originels (croisades, épidémies de peste, rumeurs de meurtres rituels d'enfants chrétiens...). C'est un pape, Innocent III, dont on dit qu'il est « le père de l'antisémitisme »[107], qui imposa, le premier, le port d'un signe distinctif (signum) aux juifs[107] au tournant des XIIe – XIIIe siècle lors du concile de Latran[108]. Néanmoins, l'Eglise essaya souvent de limiter les violences contre les Juifs, qu'elle avait suscitées. Ainsi, quand Innocent III eut vent de ces violences infligées aux juifs à cause du signe distinctif qu'il leur avait imposé et les ayant conduits à une exposition dangereuse, demanda-t-il ensuite aux évêques de France de « laisser les juifs porter des vêtements par lesquels ils peuvent être distingués des chrétiens, mais pas de les forcer à en porter de tels qui pourraient mettre leur vie en péril »[107]. En France néanmoins, les juifs étaient particulièrement protégés dans le Comtat Venaissin (territoire papal).
Nombre de professions furent interdites aux Juifs. Ils furent exclus de toute fonction administrative, et surtout des corporations de métiers, et des confréries religieuses. Il leur était interdit de posséder des terres pour les cultiver. Ils vivaient donc dans les villes, où ne leur restaient comme possibles activités que celles qui étaient précisément interdites aux chrétiens. Si bien qu’ils furent repoussés de presque tous les métiers, et contraints principalement de s’orienter vers le commerce et le prêt à intérêt, souvent interdit aux chrétiens d’Occident et aux musulmans. On attribue à l’interdiction par les évêques du prêt à intérêt à Rome, une part de responsabilité dans la crise économique qui se termina par sa chute. Constantinople n’eut pas ces scrupules et accueillit nombre de Juifs chassés d'Espagne qui contribuèrent largement à la réussite de l'Empire ottoman.
Par exception, les Juifs pratiquaient aussi l’artisanat d’art (orfèvrerie, la taille des pierres précieuses) et la médecine : c’est ainsi que des professeurs juifs de l’Université de Montpellier, pratiquaient secrètement la dissection afin d'améliorer leur connaissance du fonctionnement du corps humain.
La répression et les expulsions concernent avant tout l'Angleterre, la France et l'Empire germanique, car l'Espagne connaît un décalage d'un siècle par rapport à ces pays tandis qu'en Italie, les relations judéo-chrétiennes restent bien meilleures[106]. Au Moyen Âge, ils donnèrent à l'Europe de nombreux savants, et furent des traducteurs et importateurs des textes anciens, grecs en particulier, qu'ils traduisirent, commentèrent et permirent ainsi à l'Europe de les découvrir. Ils traduisirent également à partir de la langue arabe, lors de la grande période de l'Espagne andalouse (Al-Andalus) où les échanges entre intellectuels juifs et musulmans atteignirent leur plus haut niveau. Cette époque fut aussi celle de la traduction des textes d'Aristote (1120-1190), qui mobilisa des équipes composées de confessions des religions monothéistes, à Tolède, et dans quatre villes d'Italie (Pise, Rome, Palerme, Venise). Elle fut à l'origine de la Renaissance du XIIe siècle.
Au concile de Trente au XVIe siècle l'Église catholique romaine remet en question l'accusation de déicide contre le peuple juif en précisant que le déicide est le chrétien qui renie le Christ par ses actes[109].
L'antijudaïsme islamique
À l'époque de Mahomet, à Médine et dans la péninsule Arabique vivaient des tribus juives que Mahomet s'efforça d'abord de convertir, sans succès. Il finit par les combattre et les chasser[110]. La position de Mahomet à l'égard du judaïsme est de considérer certaines prescriptions mosaïques comme étant en réalité coraniques. Il considère que les Hébreux sont des Arabes. Mahomet se fait donc fort de rappeler aux Juifs leur propre loi que le Talmud aurait falsifiée[111]. La religion véritablement originaire est l'islam, les prophètes juifs sont en réalité musulmans et ce n'est pas à Isaac mais à Ismaël que les bénédictions ont été accordées[112].
Les conditions de vie des Juifs en terre musulmane, quoique préférables à ce qu'elles étaient en Europe, n'en étaient pas moins très dures : ils vivaient dans un état misérable parce qu'ils avaient rejeté la loi du Prophète[113]. En outre, dans la vie quotidienne, les Juifs étaient considérés avec mépris, supposés lâches et perfides, éléments de dissolution du corps social[114]. Il arrivait toutefois que des fonctions administratives ou financières leur soient confiées en cas de besoin, en raison de leur compétence[115]. À Bagdad et ailleurs, on forçait les Juifs à porter un insigne et un couvre-chef destinés à les distinguer[116]. Des milliers de Juifs furent tués dans des pogroms organisés à Grenade en 1066[117] ou à Fez en 1465[118].
Des communautés juives d'Afrique du Nord ont également été converties de force, et des synagogues ont été détruites. De nouveaux pogroms eurent lieu à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe, principalement en Afrique du nord. Ce ne fut pas le cas dans l'Empire ottoman qui les accueillit pour le développement du commerce, après leur expulsion d'Espagne et du Portugal. La dhimma est le statut que l'Islam décerne aux « gens du Livre », auquel font partie les Juifs. C'est un statut de citoyen de seconde zone : ils avaient le droit de pratiquer leur religion, mais non ostensiblement, devaient s'acquitter d'un impôt spécial et étaient soumis à toutes sortes de restrictions[119]. Ils ne pouvaient être fonctionnaires ni porter d'armes. Les Juifs dans la rue devaient céder la place aux musulmans. Il leur était interdit de monter à cheval ou à chameau. S'ils acceptaient ce statut, les Juifs étaient tolérés. Parfois l'antisémitisme émanait, selon l'époque et le lieu, des sphères dirigeantes ou du peuple. Dans sa forme moderne, l'antisémitisme musulman n'apparaît qu'au XIXe siècle. L'accusation de meurtre rituel, familière aux nations chrétiennes, était inconnue des musulmans jusqu'à l'affaire de Damas (1840). À partir de cette date commencèrent les accusations de crime rituel à l'encontre des Juifs dans l'Empire ottoman, en 1897 en Algérie, ou en 1901 au Caire notamment[120].
Du XVIIe siècle au XIXe siècle
En somme, dans toute l'histoire de la chrétienté, ou de l'Europe, et jusqu'au XXe siècle non compris, le sentiment antijuif et les persécutions et discriminations qui s'ensuivirent furent le fait de l’antijudaïsme chrétien, même si l'antisémitisme de Voltaire n'est pas de source chrétienne. Cependant, selon Hannah Arendt, au XVIIIe siècle, les hommes des Lumières, à l'exception de Denis Diderot, méprisent les Juifs comme trop attachés à leur religion, alors qu'ils sont mieux considérés par les conservateurs :
« Les hommes des Lumières qui préparèrent la Révolution française méprisaient tout naturellement les Juifs : ils voyaient en eux les survivants de l’obscurantisme médiéval, les odieux agents financiers de l’aristocratie. Leurs seuls défenseurs déclarés en France furent les écrivains conservateurs qui dénoncèrent l’hostilité envers les Juifs comme « l’une des thèses favorites du XVIIIe siècle » (J. de Maistre). »
— Hannah Arendt, Sur l’antisémitisme, Calmann-Lévy, 1973, p.110
L'antisémitisme n'était pas un sentiment général dans les milieux intellectuels du XIXe siècle comme on le voit notamment avec Friedrich Nietzsche qui écrit : « Or les juifs sont sans aucun doute la race la plus forte, la plus résistante, et la plus pure qui existe actuellement, ils savent s'imposer… grâce à certaines vertus dont on aimerait faire des vices, grâce surtout à une foi résolue… C'est un fait que les juifs s'ils le voulaient pourraient dès maintenant exercer leur prépondérance et même littéralement leur domination sur l'Europe, c'est un fait qu'ils n'y travaillent pas et ne font pas de projet en ce sens. Ils aspirent à s'établir enfin quelque part où ils soient tolérés et respectés »[121].
Cet antijudaïsme doit être distingué de l’antisémitisme moderne qui va s'exacerbant avec la crise des États-nations, et qui pointe avec l'affaire Dreyfus en France, les théories de Houston Stewart Chamberlain en Allemagne et qui va exploser en racisme avec le nazisme exterminateur (voir pour cette histoire et la périodisation des différents formes de persécutions antijuives, de Raul Hilberg : L'extermination des Juifs d'Europe).
Dans le monde moderne, avec le développement des grands États européens, certains banquiers Juifs comme les Péreire ou la dynastie des Rothschild ont joué un rôle important dans le financement du développement industriel et de grands projets nationaux (chemins de fer). Cette place est assortie de privilèges, comme l'anoblissement, qui fait que, d'une part, les Juifs privilégiés sont en quelque sorte des hors-caste, sans que cela soit vu comme une marque d'exclusion (mais ces privilèges n'en suscitent pas moins les jalousies), d'autre part, ces Juifs privilégiés seront eux-mêmes défavorables à l'extension de leurs privilèges à ceux des Juifs qui pâtissent de ces mesures gouvernementales discriminatoires. Dans l'ensemble, les Juifs riches bénéficient de cette manière d'une protection politique (ce qui est fréquent dans leur histoire, comme on le voit au début de l'Islam qui protégea les Juifs et en fit des administrateurs), qu'il s'agisse des Juifs de Cour, ou de certains financiers du XIXe siècle[pas clair]. Par exemple, Bismarck, qui tenait des propos antisémites dans sa jeunesse, y renoncera plus tard[122]. Par la suite, des antisémites[Qui ?] l'accuseront d'être à la solde des Juifs.
Il apparaît ainsi que le développement de l'Europe, déjà tributaire de leur culture et de leur religion, fut tributaire de la puissance financière des Juifs les plus riches ; mais, comme le remarque Hannah Arendt[réf. incomplète], cette puissance s'accompagne d'une grande réticence à s'engager dans les événements du monde, contrairement à ce que diront les antisémites par la suite, avec la théorie du complot juif. Outre le rôle financier des Juifs dans l'Europe moderne, il faut remarquer que du fait de leur présence dans tous les pays d'Europe, les Juifs furent une communauté internationale, par opposition à la montée en puissance de l'isolement nationaliste des autres peuples. Pour Diderot, un des rares philosophes des Lumières à ne pas détester les Juifs : ceux-ci sont selon lui le ciment indispensable des nations européennes. Les Juifs étaient en effet parfois considérés comme les financiers des aristocrates ; des socialistes du XIXe siècle, adhérant à l'antisémitisme[123], reprendront un argument similaire. Selon Hannah Arendt encore, la gauche est majoritairement antisémite jusqu'à l'Affaire Dreyfus, où, par opposition aux cléricaux majoritairement anti-dreyfusards, elle défendra Dreyfus :
« Les cléricaux se trouvant dans le camp antisémite, les socialistes français se déclarèrent finalement contre la propagande antisémite au moment de l’affaire Dreyfus. Jusque-là, les mouvements de gauche français du XIXe siècle avaient été ouvertement antisémites. »
— Hannah Arendt, Sur l’antisémitisme, Calmann-Lévy, 1973, p.111
C'est vers cette époque que débute le mouvement d'émancipation des Juifs d'Europe et au début du XIXe siècle. Dans certains pays, ils obtiennent l'égalité des droits, parce que la notion de citoyenneté est jugée plus importante et plus universelle que la question de savoir si un individu est juif ou non.
Mais ce caractère international fut interprété également dans le sens d'un complot (dont la famille Rothschild, installée en France, en Autriche, en Angleterre, aurait été le symbole), alors qu'il est lié en réalité à la plus grande importance chez les Juifs de la famille par rapport à la nation. Aussi les antisémites ont-ils projeté sur les Juifs des catégories de pensée qui sont étrangères à ces derniers.
Par la suite, au cours du XIXe siècle, l'influence financière des Juifs diminue fortement, et c'est à ce moment de leur histoire où les Juifs ne sont presque plus influents économiquement en ce qui concerne les affaires politiques, que naîtra cette haine virulente les accusant d'intentions qu'ils n'ont jamais réalisées quand ils l'auraient pu, et qu'ils n'étaient de fait plus capables de réaliser, même au cas où ils l'auraient voulu. En revanche, c'est à ce moment que les Juifs obtiennent des postes en nombre plus importants, dans l'administration par exemple, ce qui sera encore une fois jugé comme une menace (France enjuivée). Ces accusations ne sont pas seulement des contre-vérités économiques et politiques, mais elles ignorent également cette tendance fréquente chez les Juifs à l'assimilation, à la dissolution même de la communauté juive d'un pays, tendance freinée soit par un regain d'hostilité à leur égard, soit par une politique d'État visant à conserver le statut de Juif, eu égard à son utilité indiquée plus haut. Paradoxalement, on reproche aux Juifs leur particularité, leur « isolement sociétal ». Et on les réprime lorsqu'ils entament des processus d'ouverture, d'assimilation à la société environnante. Au moment où l'antisémitisme explose en Europe et s'organise (vers 1870, après plusieurs vagues au cours du XIXe siècle), les Juifs n'ont donc plus la même importance, et l'existence même de l'identité juive est en passe de disparaître, sans que la cause en soit une volonté délibérée de détruire leur culture.
L'organisation de l'antisémitisme commence donc dans les années 1870 - 1880. En Grande-Bretagne, l'afflux des réfugiés juifs originaires de Russie, où se multiplient les pogroms durant les années 1880, finit par provoquer des émeutes antisémites à Londres, cependant isolées et réprimées par la police[124]. En Allemagne, les propos antisémites commencent à avoir du succès avec Stöcker, et avec Schönerer en Autriche, où la virulence de l'antisémitisme est plus grande du fait de l'opposition de la communauté allemande alors prépondérante contre l'État : le pangermanisme y est particulièrement exacerbé, et les Juifs sont, on l'a vu, associés à l'État dans ce genre de propagande (le mouvement autrichien apparaît ainsi comme la véritable préfiguration du nazisme). C'est à partir des années 1880 que l'antisémitisme européen recourt de plus en plus systématiquement à l'image imprimée, comme en témoigne l'exposition « Dessins assassins » du Mémorial de Caen (France) en 2017 et 2018 réalisée à partir de la collection du diamantaire Arthur Langerman.
Un trait caractéristique de l'antisémitisme, à ce moment de son histoire, est son caractère supranational, ce qui peut apparaître paradoxal. Le fait est cependant que les partis antisémites allemands et autrichiens se présentant comme des partis au-dessus des partis (donc des partis qui ont vocation à contrôler totalement l'État, à incarner la nation), se réunissent en congrès internationaux, et c'est à ce niveau qu'ils ont l'ambition de lutter contre les Juifs, qui sont alors le seul élément de dimension européenne. En somme, les antisémites imitent les Juifs tels qu'ils les imaginent, et projettent de prendre le pouvoir occulte qu'ils leur attribuent.
L'agitation antisémite n'est toutefois pas durable, et il n'y a pas d'intensification constante de cette idéologie jusqu'à l'avènement du nazisme. Ainsi Stefan Zweig nota-t-il que la période 1900-1920 sembla un âge d'or pour les Juifs, au point que les précédentes agitations contre ces derniers ne semblaient plus qu'un mauvais souvenir.
L'antisémitisme au début du XXe siècle
Le premier coup d’arrêt à l'antisémitisme en France fut la réaction à l’affaire Dreyfus (1894 à 1906). L’empire russe, lui, connaissait des vagues de pogroms successives, persécutions qui provoquèrent en réaction l'idée du projet sioniste créé par le journaliste, écrivain et homme politique Theodor Herzl afin de faire accéder les Juifs au rang de peuple politique, susceptibles enfin de bénéficier des mêmes droits politiques que tout autre peuple ou nation se donnant son organisation politique, ainsi que des Droits de l'homme que les États européens qui abritaient les Juifs durant la période nazie, n'avaient pas convoqués ni su faire jouer pour les protéger des persécutions du nazisme.
On lira à ce propos avec intérêt les analyses de Hannah Arendt, soulignant l'absence de contenu de la notion de « droits de l'homme » en l'absence d'un État pour les faire valoir et les appliquer à une nation donnée. Avec les persécutions nazies, les droits de l'homme sont en effet apparus après-coup, comme étant équivalents aux « droits des peuples » dans le système de l'État-nation. Les peuples sans État (celui de leur nation) se trouvèrent là démunis, privés de tous droits, et leurs droits, en tant qu'« hommes » n'étaient garantis par aucune institution[125].
Des écrivains ont vivement pratiqué et encouragé l’antisémitisme : Charles Maurras, les Frères Goncourt, Édouard Drumont avec son pamphlet La France juive (1886), Brasillach, Céline à l'époque où l'Europe sombra dans le fascisme. Maurras donna à ses écrits une forme doctrinale, qui s'est développée dans le courant de l'Action française entre 1899 et 1939, et fut condamnée à deux reprises par le Vatican (en 1914 et en 1926)[126]. Cette doctrine rejetait les racines juives du christianisme. Mais à l'inverse, d'autres écrivains, parfois catholiques comme Léon Bloy, soutiennent le rôle historique et religieux du peuple juif et sa qualité. Bloy écrit dans ses mémoires « quelques-unes des plus nobles âmes que j'ai rencontrées étaient des âmes juives. La sainteté est inhérente à ce peuple exceptionnel, unique et impérissable »[127].
Historiquement, de nombreux motifs ont été utilisés pour justifier, perpétuer ou susciter l’antisémitisme, incluant des éléments sociaux, économiques, nationaux, politiques, raciaux et religieux. Notamment :
- la théologie chrétienne du Vetus Israël/Verus Israël (ancien Israël contre véritable Israël) développée par Augustin d'Hippone au IVe siècle. Selon elle, le peuple chrétien serait désormais le véritable peuple de l’Alliance, car Dieu se serait détourné des Juifs. De ce fait, le judaïsme serait condamné à disparaître et les Juifs à se convertir. Cette position théologique se nomme le supersessionisme ou théologie de la substitution. Elle a contribué à l'antijudaïsme chrétien, lien qui a été mis en évidence lors de la conférence de Seelisberg (1947) et que Jules Isaac appelait l'Enseignement du mépris[128],[129], pouvant conduire à des persécutions et des conversions forcées se résolvant, dans le meilleur des cas, dans le marranisme. D'après Y. Leibovitz[130], seul cet enseignement du mépris, inhérent selon lui au messianisme chrétien du sauveur dégageant l'homme du « joug de la Torah et des mitsvot », explique que les populations et les élites dirigeantes européennes aient laissé faire et souvent réalisé elles-mêmes[131] l'assassinat des Juifs d'Europe pendant la seconde guerre mondiale.
La limpieza de sangre (pureté du sang) qui se développe en Espagne après le décret de l'Alhambra (1492) et l’expulsion des Juifs. Pour obtenir certaines charges honorifiques, exercer certaines professions, entrer dans certains ordres religieux, il est nécessaire de prouver qu’aucun ancêtre n’était juif ou musulman : la Reconquista terminée, Grenade prise, il s'agit à présent de reconstruire l'identité nationale. Ce statut n'est progressivement adopté par les archevêchés que dès la fin des années 1520. En pratique, la limpieza est reconnue à un seuil de trois générations ; au-delà, il est quasi-certain que l'ancêtre ait du sang juif ou musulman, étant donné le métissage de l'Espagne médiévale. La reconnaissance de la limpieza de sangre se fait par enquête de l'Inquisition, sur dénonciation : enquête par définition longue, et coûteuse. Ainsi, qui sort de ce filet se trouve lavé de tout soupçon, mais généralement ruiné.
- À la fin du XIXe siècle, deux documents fallacieux apparaissent à quelques années de distance. D'une part, le prêtre Pranaitis publie Le Talmud démasqué (1892), ouvrage rempli de fausses citations du Talmud et destiné à faire croire à une volonté meurtrière des juifs contre les chrétiens. Pranaitis sera confondu lors de l'affaire Beilis mais son livre continuera à être diffusé. D'autre part, moins de dix ans plus tard, la théorie du complot juif international est diffusée principalement par Les Protocoles des Sages de Sion (1901), un faux fabriqué par Matveï Golovinski pour le compte de la police secrète de la Russie tsariste (l'Okhrana). Les Protocoles sont un pamphlet qui décrit les prétendus plans de conquête du monde par les Juifs. Ce faux fut utilisé par les nazis comme instrument de propagande et figurent en bonne place parmi les prétextes invoqués pour justifier la persécution des Juifs et leur extermination, la Shoah. Ce faux a été réactualisé ces dernières années en forme de série télévisée, et diffusée dans quelques chaînes diffusant en langue arabe. Il a été de facto censuré par la plupart des pays arabes pour son contenu inapproprié. Il est de nouveau édité en Russie et en Ukraine[réf. nécessaire].
L'ouvrage d'un docteur Celticus publié par la Librairie antisémite de la rue Vivienne à Paris en 1903, permet au lecteur de savoir reconnaître un Juif au moyen de ses nombreuses tares commentées[132].
L'Église catholique romaine, par la déclaration Nostra Ætate de 1965, le discours de Jean-Paul II à la grande synagogue de Rome en 1986[133] puis lors des repentances de la fin du IIe millénaire, a finalement reconnu avoir véhiculé dans l'Histoire un discours et une culture antijudaïques, illustrés entre autres par l'expression de « peuple déicide » ou la mention des « Juifs perfides », restée dans la prière du vendredi saint jusqu'aux réformes du Concile Vatican II sous les papes Jean XXIII et de Paul VI.
En Union soviétique, un antisémitisme existait dans la sphère de la vie quotidienne ainsi qu'au niveau de l'État, notamment sous Joseph Staline lors du complot des blouses blanches.
Antisémitisme et sionisme
L'antisémitisme se retrouve en toile de fond de plusieurs événements de l'histoire du sionisme en Palestine mandataire entre la prise de contrôle du pays par les Britanniques en 1917 et la fondation de l'État d'Israël à la suite de la résolution 181 de l'Assemblée générale de l'ONU.
Historiquement, le Mandat britannique fut un facteur majeur qui permit l'établissement d'un foyer national juif en Palestine. Selon l'historien Tom Segev, assez paradoxalement, le soutien initial des Britanniques au projet sioniste tient principalement à l’idée que les « Juifs contrôlent le monde » et que le Commonwealth se verrait récompensé en les appuyant ; Chaim Weizmann, parfaitement conscient de ce sentiment, aurait su l’utiliser pour faire avancer sa cause[134].
Dès l'arrivée des premiers immigrants vers 1900, le projet sioniste a vu l'opposition des Arabes de Palestine. D'abord exprimée sous forme de plaintes aux autorités ottomanes, elle s'est muée en nationalisme pan-arabe puis palestinien dans les années 1920 et s'est rapidement accompagnée de dérives à caractère antisémite de plus en plus violentes. Des massacres de Juifs eurent lieu lors des Émeutes de Jérusalem de 1920, des émeutes de Jaffa en 1921, des émeutes et du massacre d'Hébron en 1929 et lors de la Grande Révolte arabe en 1936-1939[135]. Le contrôle de la Palestine par les Britanniques et la lutte contre le sionisme poussèrent également les nationalistes arabes dans le camp nazi. Plusieurs d'entre eux collaborèrent activement pendant la Seconde Guerre mondiale[136]. La propagande israélienne sut en faire usage en particulier dans le cas du grand Mufti de Jérusalem, Mohammed Amin al-Husseini, en en amplifiant l'importance au point de marquer la conscience collective israélienne[137].
La Shoah est souvent présentée comme une des causes de la fondation de l'État d'Israël. Au regard du Yishouv, les historiens ne partagent pas ce point de vue. Déjà avant la Seconde Guerre mondiale, les « bases sociales, politiques, économiques et militaires de l'État-à-venir étaient déjà fermement en place ; et un sens profond d'unité nationale prévalait. (…) [même si] le choc, l'horreur et le sentiment de culpabilité ressenti par beaucoup généra un sentiment de sympathie envers les Juifs en général et le mouvement sioniste en particulier »[138].
Après la Seconde Guerre mondiale, ce fut au tour des Juifs de passer à l'offensive et de s'attaquer aux Britanniques pour réclamer l'indépendance, notamment aux travers d'actions sanglantes organisées par l'Irgoun et le Lehi. Près de 100 000 soldats britanniques furent dépêchés en Palestine avec à leur tête le Général Bernard Montgomery qui avait maté la Révolte arabe de 1936 et le Général Barker, antisioniste et pro-arabe convaincu. Dans ce contexte, et malgré la mise en vigueur de certaines lois jugées « nazies », la crainte d'être accusés d'antisémitisme poussa les Britanniques à faire preuve de nettement moins de détermination et de brutalité qu'ils ne le firent à l'encontre des Arabes dix ans plus tôt. Certaines dérives antisémites se produisirent également, notamment dans le chef du Général Evelyn Barker qui émit un ordre d'interdiction aux soldats britanniques de fréquenter les établissements juifs, ce qui était un bon moyen de les combattre « en leur frappant au porte-monnaie, ce que la race déteste particulièrement »[139].
Dans les différentes motivations à se retirer de Palestine, dont les principales restent le coût, l'impossibilité de résoudre le conflit entre Juifs et Arabes et la mort inutile de soldats britanniques, un Ministre britannique écrivit : « (…) [la présence britannique] expose nos garçons, pour aucune bonne raison, à des expériences abominables et nourrit l'antisémitisme à la vitesse la plus choquante »[140].
En 1947, les dirigeants arabes sous-estimèrent la capacité des Juifs à mener une guerre. Ce point de vue constitue une des causes de la victoire israélienne de la Guerre de Palestine de 1948. Selon Ilan Pappé, cette vision des choses était due notamment à leur 'antisémitisme' qui toutefois n'était pas présent chez le roi Abdallah de Jordanie, par ailleurs conscient de la puissance réelle du Yichouv[141].
Antisémitisme et conflit israélo-palestinien
Incidents antisémites liés au conflit israélo-palestinien
L’Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes (EUMC)[142] a publié en mai 2006 un document de travail sur l’antisémitisme dans l’Union européenne des quinze États membres de 2001 à 2005. L’EUMC s’est donné pour tâche « d’observer le développement historique de l’antisémitisme, d’identifier le contexte social qui donne essor à la haine des agresseurs, mais aussi d’écouter avec sensibilité les peurs des communautés juives ». Le rapport conclut que, dans de nombreux pays l'augmentation des incidents antisémites est le fait plus de musulmans au Danemark, en France[143], en Belgique[144] que de l'extrême-droite. Ce serait moins le cas aux Pays-Bas[145], en Suède[146] ou en Italie[147].
L’EUMC estime que « les évènements au Moyen-Orient, les activités et le discours de l’extrême-droite et jusqu’à un certain point de l’extrême-gauche peuvent influer sur le nombre d’actes antisémites »[148].
Si « les études montrent que les stéréotypes antijuifs ont peu changé, les manifestations publiques d’antisémitisme dans la politique, les médias et la vie quotidienne ont changé récemment, surtout depuis le déclenchement de l’Intifada Al-Aqsa en septembre 2000 ».
Concernant l’antisionisme, l’EUMC note que : « En Europe, « l’antisémitisme secondaire » et l’utilisation de l’antisionisme comme un moyen de contourner le tabou antisémite dominent parmi les extrêmes gauche et droite. Le révisionnisme et le négationnisme sont devenus un élément central du répertoire propagandiste des organisations d’extrême-droite dont l’antisémitisme forme un élément central dans leur formation ».
C'est bien cette convergence entre antisionisme et antisémitisme qui amène une trentaine de familles juives à quitter, en 2009, Malmö en Suède après des incidents antisémites dont l'incendie d'une synagogue[149],[150].
En 2014, la presse internationale rapporte une augmentation des incidents antisémites dans le monde, liée à l'opération Bordure protectrice. Ainsi USA Today signale-il des incidents antisémites dans plusieurs pays européens (Allemagne, Angleterre, Italie, Belgique, France) et en Turquie[151]. Ces incidents sont déplorés par le Secrétaire général des Nations Unies, Ban-Ki-Moon qui dénonce « la flambée d'attaques antisémites, notamment en Europe, en lien avec les manifestations concernant l'escalade de la violence à Gaza » et estime que « le conflit au Proche-Orient ne doit pas fournir un prétexte pour une discrimination qui pourrait affecter la paix sociale n'importe où dans le monde »[152]. En Allemagne, la chancelière Angela Merkel dénonce l'antisémitisme lors d'une manifestation à la Porte de Brandebourg, à Berlin : « La vie juive fait partie de notre identité et de notre culture »[153].
Les chiffres les plus récents de Statistique Canada révèlent qu’en 2016, c’est la communauté juive qui était la plus fréquemment visée par des crimes haineux contre une religion dans ce pays[154]. Steve McDonald, directeur des politiques au Centre consultatif des relations juives et israéliennes, considère que « L’antisémitisme vise directement les juifs, mais il ne concerne pas que les juifs et ce n’est pas un problème juif »[154].
Traitement particulier à l'ONU
Le 16 décembre 2016 et avant de quitter son poste, Ban Ki-Moon fait le bilan de son mandat à l'ONU et constate que « des décennies de manœuvres politiques ont créé un nombre disproportionné de résolutions, rapports et comités contre Israël » ; il ajoute : « Au cours de la dernière décennie, j'ai dit que nous ne pouvons pas avoir un parti pris contre Israël à l'ONU »[155]. Néanmoins, depuis 2007, Israël reste le seul pays au monde dont les violations présumées des Droits de l'homme sont régulièrement discutées dans le cadre d'un point permanent unique inscrit à l'ordre du jour (qui en compte dix) du Conseil des droits de l’homme à l'ONU, auquel la Suisse demande[156] en 2017 que ce point 7 soit supprimé afin de ne plus « soutenir la mise au pilori systématique d'un seul pays » ; cette demande a été rejetée en 2018[157].
Ainsi, l'ONG UN Watch dont la mission première est d’assurer que l’ONU respecte sa propre Charte et que les Droits de l’Homme soient accessibles à tous, s'inquiète régulièrement du systématisme des résolutions onusiennes contre Israël[158],[159] et de l’irrationalité de certaines conclusions des commissions contre l'Etat hébreu[160], qui rejoignent les « accusations moyenâgeuses d'empoisonnement des puits »[161]. Aussi, l'ONG dénonce-t-elle précisément l'incitation à la haine, à l'antisémitisme et au terrorisme[162] contre Israël ou les Juifs par de nombreux employés et enseignants palestiniens de l'agence UNRWA financée par l'ONU qui leur délivre parallèlement un Certificat d'éthique[163].
Le 23 avril 2017, Antonio Guterres, premier secrétaire général de l'ONU à participer à l'Assemblée plénière du Congrès juif mondial, déclare : « la forme moderne de l’antisémitisme est de nier l’existence de l’État d’Israël »[164]. Néanmoins, il ne reconnaît pas de lien associatif entre l'antisémitisme contemporain et l'isolement d'Israël[165]. Cet avis n'est pas partagé par l'historien Yakov Rabkin qui appelle justement à dissocier les juifs et Israël. Selon lui, la politique d'Israël à l'égard des Palestiniens peut bien être à la source d'une violence antijuive en Europe, du fait d'une confusion fallacieuse qui s'est installée dans les esprits[166].
Droit à l'expression
Loin de s'interroger sur le sens de la focalisation des détracteurs d'Israël, le 28 mai 2018, plusieurs personnalités (Gisèle Halimi, Rony Brauman, Pierre Joxe, Gilles Manceron, Lilian Thuram, Pierre Haski, Christophe Deloire, etc.) lancent une pétition et apportent leur soutien à Pascal Boniface face aux accusations d'antisémitisme dont il est l'objet. Ils réclament comme lui « le droit de pouvoir ⟨s'⟩exprimer librement sur le conflit israélo-palestinien » sans être accusés d'antisémitisme[167].
Déclarations de Mahmoud Abbas
Le président de l'Autorité palestinienne Mahmoud Abbas est critiqué par plusieurs organisations de lutte contre l'antisémitisme et les historiens spécialisés, qui l'accusent de négationnisme et de minimiser le nombre de victimes du génocide[168].
Le 23 juin 2016, prononçant un discours devant le Parlement de l'Union européenne, lui-même accuse certains rabbins israéliens d'avoir appelé à empoisonner l'eau des puits pour tuer les Palestiniens[169],[170].
En décembre 2017, à nouveau il accuse les Juifs de « contrefaire l'histoire et la religion », d'être des maîtres de la falsification et prétend que le Coran affirme que les Juifs « falsifient la vérité »[171].
Le 30 avril 2018, lors d'un discours à l'occasion d'une session du Conseil national palestinien, qu'il a qualifiée de « leçon d'histoire », il déclare que la cause principale de l’extermination de six millions de Juifs durant la Shoah n’était pas l’antisémitisme, mais « le comportement social, l’usure et les activités financières des Juifs européens ». Selon lui, les Juifs auraient choisi de se laisser tuer plutôt que d'émigrer vers la Palestine mandataire. Il affirme également qu'Hitler aurait facilité l’établissement d’un foyer juif en Palestine à la suite d'un accord financier, l'accord d'Haavara, avec l'Anglo-Palestine Bank. Il nie qu’il y aurait eu des pogroms contre des communautés juives ayant vécu dans les pays arabes et musulmans[172],[173],[174],[175].
Le 2 mai, Saeb Erakat réagit au nom de l’Autorité palestinienne aux condamnations internationales, de l'Union européenne et de l'ONU[176],[177],[178], se disant « choqué » par ce qu'il qualifie « d'attaque orchestrée par Israël dans le monde pour accuser le président Abbas d'antisémitisme »[179].
Le 4 mai, à la suite de la vague de condamnations internationale, Abbas présente ses excuses et déclare qu'il respecte le foi juive, condamne l'antisémitisme et la Shoah[180].
Législation
Institutions internationales
En 1993, les chefs d’États membres du Conseil de l'Europe établissent la Commission européenne contre le racisme et l'Intolérance (CERI) et décident de mettre en œuvre une politique commune de lutte contre le racisme, la xénophobie et l'antisémitisme[181]. À la suite de la croissance de l'antisémitisme en Europe, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe adopte en 2007 la résolution 1563 « Combattre l'antisémitisme en Europe » qui met l'accent sur le danger immense de l'antisémitisme et demande aux États membres de mettre systématiquement en œuvre une législation criminalisant l'antisémitisme et les autres discours de haine[181]. Elle leur demande aussi de condamner toutes les formes de négation de l'Holocauste[181].
En 2008, c'est l'Union européenne qui adopte la décision-cadre 2008/913/JHA concernant la lutte contre le racisme et la xénophobie[181]. En vertu de cette décision, Viviane Reding, commissaire européenne chargée de la justice, demande, lors de la Journée internationale de commémoration de l'Holocauste en 2014, « à tous les États membres de l’UE d'agir afin de transposer intégralement la décision-cadre de l’UE et de garantir son application sur le terrain »[182].
L'Assemblée générale des Nations unies tient une session extraordinaire le 22 janvier 2015 consacré à la lutte contre l'antisémitisme, la première de son histoire[183]. Elle est ouverte par Bernard-Henri Lévy[184]. L'ambassadeur d'Arabie saoudite y représente l'Organisation de la coopération islamique[183].
Législation française
Des lois nombreuses forment le dispositif français de lutte contre le racisme, la xénophobie et l’antisémitisme :
1881 : loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse (chapitre IV), première loi sanctionnant les propos publics discriminatoires ;
1939 : décret-loi Marchandeau du 21 avril 1939, modifiant la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Il réprime l’excitation à la haine raciale ou religieuse. Le décret-loi Marchandeau sera abrogé le 27 août 1940 par le gouvernement de Vichy[185] ;
1972 : loi no 72.546 du 1er juillet 1972 relative à la lutte contre le racisme par laquelle un certain nombre d’actes de la vie courante sont érigés en infraction (par exemple, le refus de fournir un bien ou le licenciement pour des raisons raciales) ;
1990 : loi no 90-615 du 13 juillet 1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe avec en particulier, création du délit de contestation de crime contre l’humanité : négationnisme ;
1994 : le Nouveau Code Pénal, publié le 1er mars 1994, a créé de nouvelles infractions et renforcé la répression des délits racistes (l'étendant aux personnes morales) ;
2003 : Décret no 2003-1164 du 8 décembre 2003 portant création du comité interministériel de lutte contre le racisme et l'antisémitisme. NOR : PRMX0300202D
2004 : la loi no 2004.204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité précise cette circonstance aggravante quand l’infraction est « précédée, accompagnée ou suivie de propos, écrits, images, objets ou actes » racistes ou antisémites. La loi prévoit différentes sanctions pénales allant de l’amende à l’emprisonnement. Ainsi, l’injure raciale est punie - au maximum - de 6 mois d’emprisonnement et/ou d’une amende de 22 500 euros.
2004 : sur Internet (cybercriminalité), la loi no 2004-575 du 21 juin 2004 stipule que « les hébergeurs et fournisseurs d’accès Internet ont l’obligation de contribuer à la lutte contre la diffusion de données à caractère pédophile, négationniste et raciste ».
Références législatives
- Site Légifrance
- Site de la Présidence de la République française[186]
- Ministère de la Justice : Les lois antiracistes[187]
Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde) : rapport annuel[188]
La Documentation française :
- Lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie : rapport annuel de la Commission nationale consultative des droits de l'homme[189]
- Lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie : rapport annuel de la Commission nationale consultative des droits de l'homme[189]
- Autres documents :
- Moyens de la lutte contre l’expression raciste, antisémite, ou xénophobe sur l’internet : dossier de presse, Forum des droits sur l’internet, juin 2004
- Comité interministériel de lutte contre le racisme et l’antisémitisme, service de presse du Premier Ministre
Législation européenne
En janvier 2003, le Conseil de l'Europe a ouvert à la signature le Protocole additionnel à la convention sur la cybercriminalité. Le 28 janvier 2004, le ministre français des Affaires étrangères a ainsi présenté au Conseil des ministres un projet de loi autorisant l’approbation de ce protocole additionnel.
Ce protocole négocié à la demande de la France, demande aux États de criminaliser la diffusion de matériel raciste et xénophobe par le biais de système informatiques afin d’« améliorer la lutte contre les actes de nature raciste et xénophobe commis par le biais de systèmes informatiques, en harmonisant le droit pénal » français et européen. Les comportements visés :
- la diffusion de matériel raciste et xénophobe ;
- la diffusion d'insultes et menaces motivées par des considérations racistes et xénophobes ;
- l'approbation ou justification publique des faits de génocide ou de crime contre l’humanité.
Notes et références
Voir notamment:
(en) Bernard Lewis, Semites and Anti-Semites : An Inquiry into Conflict and Prejudice, W. W. Norton & Company, 1999, p. 117 : « Antisemitism has never anywhere been concerned with anyone but Jews »
Anti-Semitism, Encyclopaedia Britannica, 2006.
Paul Johnson, A History of the Jews, HarperPerennial 1988, p. 133 ff.
Bernard Lewis, The New Anti-Semitism, The American Scholar, Volume 75 No. 1, Winter 2006, p. 25-36, à la suite d'une conférence délivrée à l'université Brandeis le 24 mars 2004.- Renée Neher-Bernheim (préf. Jules Isaac), Histoire juive de la révolution à l'État d'Israël : Faits et documents, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Histoire » (no H304), 2002, 1307 p. (ISBN 978-2-020-35978-8, OCLC 300731746), p. 425-432
- Nicolas Lebourg, « Fact-checking de l’antisémitisme et de «l'antisémitisme des banlieues» », sur slate.fr, 24 juillet 2014(consulté le 15 août 2014)
« Définition : Antisémitisme », sur www.toupie.org (consulté le 24 août 2018)
(en) Alex Bein (trad. Harry Zohn), The Jewish question : biography of a world problem [« Die Judenfrage »], Rutherford, N.J, Fairleigh Dickinson University Press, 1990(ISBN 978-0-838-63252-9, OCLC 19127339), p. 594. Ainsi que Gilles Karmasyn, L’« antisémitisme » : une hostilité contre les Juifs : genèse du terme et signification commune, PHDN, 2002-2012, note 6
Gilles Karmasyn, L’« antisémitisme » : une hostilité contre les Juifs : genèse du terme et signification commune, PHDN, 2002-2012, surtout note 4
Gilles Karmasyn, L’« antisémitisme » : une hostilité contre les Juifs : genèse du terme et signification commune, PHDN, 2002-2004, surtout note 3
« Antisémite », sur CNRTL.
« Définition de l'antisémitisme », sur Alliance internationale pour
la mémoire de l’Holocauste (IHRA)
Notamment, des non-Juifs reçoivent des insultes ou des menaces antisémites, s'ils dénoncent l'antisémitisme ou défendent les juifs ou Israël.
Gilles Karmasyn, Le journal Le Globe annonce en 1879 la création à Berlin d’une « ligue antisémitique » : la première utilisation du terme « antisémite » en français, PHDN, 2018
Jules Isaac : Genèse de l'antisémitisme, éd. Agora, p. 24
Léon Poliakov, Histoire de l'antisémitisme volume 3, p. 404
Jules Isaac, Genèse de l'antisémitisme, op. cit., p. 24.
Jean-Claude Barreau, Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur Israël sans jamais oser le demander, Boulogne-Billancourt, Toucan, 2010, 190 p. (ISBN 978-2-810-00373-0, OCLC 607187850), p. 107
Voir plus bas « formes d'antisémitisme ».
Roger-Pol Droit, « "La judéophobie des modernes", de Pierre-André Taguieff : métamorphoses de la haine », Le Monde, 28 août 2008(lire en ligne)
(en) Phyllis Chesler, The New Antisemitism: The Current Crisis and What We Must Do About It, Jossey-Bass, 2003, p. 158–159
(en) David Matas, Aftershock: Anti-Zionism and Antisemitism, Dundurn Press, 2005(lire en ligne), p. 30-31
(en) « From Ambivalence to Betrayal: The Left, the Jews, and Israel (Studies in Antisemitism) », University of Nebraska Press, 2012
Antisémitisme : le discours de Bernard-Henri Lévy à l’Assemblée générale de l’ONU, La Règle du Jeu, 23/11/2015 [1], propos repris et développés dans Bernard-Henri Lévy, L'Esprit du judaïsme, Grasset, 2016
« UE: le Parlement s'attaque à l'antisémitisme », sur Le Figaro, 1er juin 2017
« La lutte contre l’antisémitisme - Résolution du Parlement européen du 1er juin 2017 sur la lutte contre l’antisémitisme (2017/2692(RSP)) », sur Parlement européen
Barbara W. Tuchman, (en) « They poisoned the Wells », Newsweek, 03/02/1975 cité in H. J. Fields, A Torah Commentary for Our Times, vol. 2 : Exodus and Leviticus, New York, Union for Reform Judaism, 1990. Lire en ligne.
(en) Daniel J. Moskovitz, « Pharaoh Didn’t Know Joseph », sur MyJewishLearning
Voir plus haut
À l'image des conversions qui ont eu lieu au Moyen Âge et à la Renaissance, l'antisémitisme était à ce moment fondé sur l'appartenance religieuse des juifs au judaïsme. Les conceptions raciales « modernes » se développent quant à elles au cours du XIXe siècle avec les penseurs racialistes et eugénistes, comme il est développé plus bas.
(de) René König, Materialien zur Kriminalsoziologie, VS Verlag, 2004(ISBN 978-3-8100-3306-2), p. 231
(en) Edward H. Flannery, The Anguish of the Jews: Twenty-three Centuries of Antisemitism, Paulist Press, 1985(ISBN 978-0-8091-4324-5), p. 179
Edward H. Flannery 1985, p. 16
Edward H. Flannery 1985, p. 260
Edward H. Flannery 1985, p. 176
Edward H. Flannery 1985, p. 179
(en) Louis Harap, Creative awakening: the Jewish presence in twentieth-century American literature, 1900-1940s, Greenwood Publishing Group, 1987(ISBN 978-0-313-25386-7), p. 24
ibid., p. 76
(en) Eric Kandel, In search of memory: the emergence of a new science of mind, W. W. Norton & Company, 2007(ISBN 978-0-393-32937-7), p. 30
(en) Donald L. Niewyk et Francis R. Nicosia, The Columbia Guide to the Holocaust, Columbia University Press, 2003(ISBN 978-0-231-11201-7), p. 215
(en) Walter Laqueur, The changing face of antisemitism : from ancient times to the present day, New York, N.Y, Oxford University Press, 2006(ISBN 978-0-199-77473-9 et 978-1-283-09808-3, OCLC 713022960), p. 56.
(en) Michael A. Meyer et Michael Brenner, German-Jewish History in Modern Times: Integration in dispute, 1871-1918, Columbia University Press, 1998, 480 p. (ISBN 978-0-231-07476-6, lire en ligne), p. 220
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Voir aussi
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Articles connexes
- Concepts
- Antijudaïsme
- Antisionisme
Bête immonde, symbole antisémite moderne de Bertold Brecht
- Déicide
Haman, symbole antisémite antique du livre d'Esther
- Judaïsme
- Juifs
- Numérus clausus
- Philosémitisme
- Racisme
- Test 3 D d'identification de l'antisémitisme
- Xénophobie
- Pogrom
- Par pays
- Antisémitisme aux États-Unis
- Antisémitisme de Joseph Staline
- Antisémitisme en France
- Antisémitisme en URSS
Lois de mai (Russie), lois de 1882 imposant une politique systématique de discrimination envers les Juifs
- France
- Action française
- Affaire Dreyfus
- Affaire Mortara
- Affaire Finaly
- Publications antisémites en France
- Édouard Drumont
- Louis-Ferdinand Céline
National-socialisme
- Origines de l'antisémitisme nazi
- Aryanisation
- Judéo-bolchevisme
- Shoah
- Massacre de Babi Yar
- Négationnisme
- Révisionnisme
- Néonazisme
Liens externes
- L'histoire de l'antisémitisme dans une approche thématique et chronologique
L'« antisémitisme » : une hostilité contre les Juifs sur PHDN
- Psychanalyse et antisémitisme
- Quatre hypothèses comparatives France-Pologne sur la violence antisémite au XXe siècle
- Séminaire: L'Europe, contre l'antisémitisme et pour une Union de la diversité. Bruxelles, le 19 février 2004 Discours de Mme A. Goldstaub Fondazione Centro di Documentazione Ebraica Contemporanea CDEC), Milan
Robert Badinter sur l'antisémitisme : tirer les enseignements de l'histoire, discours à l'Unesco, janvier 2017.
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